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Aménagement du territoire

Droit de préemption : les principaux enjeux, trois ans plus tard

16 juin 2025

Lévesque, Joanie

Article par :
Joanie Lévesque

Le 10 juin 2022, le gouvernement du Québec sanctionnait l’entrée en vigueur de la Loi modifiant diverses dispositions législatives principalement en matière d’habitation.[1] Cette loi a permis aux municipalités du Québec de se prévaloir d’un droit de préemption sur un immeuble ou un terrain sous certaines conditions. À l’approche du troisième anniversaire de la Loi, certaines municipalités rencontrent des difficultés dans l’application de ce droit mis à leur disposition.

Le processus pour exercer son droit de préemption

Rappelons que les municipalités doivent d’abord adopter un règlement balisant le territoire où il sera possible d’exercer un tel droit ainsi que les fins municipales auxquelles des immeubles pourront être acquis.[2]

Une fois le règlement adopté, la municipalité doit notifier au propriétaire un avis d’assujettissement précisant l’immeuble visé et les fins municipales pour lesquelles il peut être acquis.[3]

Une fois le droit de préemption en vigueur, le propriétaire visé par l’avis d’assujettissement ne pourra, sous peine de nullité, aliéner son immeuble sans en aviser la municipalité. Cet avis devra indiquer le prix et les conditions de l’aliénation ainsi que le nom de la personne qui envisage d’acquérir l’immeuble.[4]

Une fois notifiée, la municipalité disposera d’un délai de 60 jours afin d’informer le propriétaire de son intention d’exercer son droit de préemption à l’égard de l’immeuble. La municipalité peut, pendant cette période, exiger du propriétaire tout renseignement lui permettant d’apprécier l’état de l’immeuble.[5]

Si la municipalité se prévaut de son droit de préemption, elle devra alors, dans les 60 jours suivant la notification de l’avis de son intention d’acquérir l’immeuble, en acquitter le prix.[6]

Les exigences de forme et de notification

La Loi sur les cités et villes (« LCV ») prévoit la manière dont un avis doit être notifié aux fins de cette loi. En effet, tout avis spécial doit être fait par écrit et doit être notifié.[7]

Une municipalité doit donc, après avoir adopté par résolution du conseil[8], notifier un avis au propriétaire pour manifester son intention d’acquérir l’immeuble. Une copie de cet avis doit être remise « en personne […] à son domicile ou à son établissement d’entreprise »[9].

L’envoi d’un courriel peut servir à manifester l’intérêt de la municipalité, mais ne suffit pas à lui seul pour respecter les exigences formelles de la LCV.

Cependant, l’article 572.0.2 n’autorise pas expressément les municipalités à adopter un règlement encadrant les modalités de transmission de cet avis. Comme les municipalités ne disposent que des pouvoirs qui leur sont délégués par la loi, tout règlement allant au-delà d’une délégation claire pourrait être contesté devant les tribunaux. Il faut donc se référer aux articles 334 et suivants de la LCV pour les règles de forme applicables à la transmission des avis municipaux.

Les enjeux liés aux conditions suspensives

Lors des débats parlementaires ayant mené à l’adoption des articles 572.0.5 et 572.0.6 de la LCV, il a été précisé que l’offre d’achat transmise à la municipalité doit être définitive, acceptée par les parties, sans possibilité de revenir sur le prix ni d’ajouter des conditions suspensives.

Comme l’a affirmé Me Nicolas Paradis, sous-ministre adjoint aux politiques au ministère des Affaires municipales et de l’Habitation, « c’est l’offre d’achat acceptée qui est le rempart qui assure la sécurité à la transaction immobilière et l’information donnée à la ville. »[10] Ainsi, une offre avec conditions suspensives empêche les villes de prendre une décision éclairée sur la valeur de l’immeuble.

En réponse à cette problématique, des municipalités comme Laval et Québec ont précisé dans leur règlement que l’offre d’achat doit être acceptée ou ne pas contenir de conditions suspensives non levées pour être recevable. L’avis d’intention d’aliéner ne peut donc être transmis qu’une fois les conditions de l’offre d’achat levées, afin de permettre à la municipalité de se prononcer sur une offre ferme.[11]

Conclusion

En conclusion, le droit de préemption est un outil intéressant, mais son efficacité repose sur une application rigoureuse. Pour limiter les risques, les municipalités doivent s’assurer de respecter les délais prévus et les conditions de forme de la transmission des avis et des documents. Une précision législative concernant la nécessité de fournir une offre d’achat définitive aux municipalités renforcerait l’application de ce mécanisme.

[1] Projet de loi n° 37, Loi modifiant diverses dispositions législatives principalement en matière d’habitation – Assemblée nationale du Québec

[2] Loi sur les cités et villes, RLRQ, c. C-19, article 572.0.2

[3] Loi sur les cités et villes, RLRQ, c. C-19, article 572.0.3

[4] Loi sur les cités et villes, RLRQ, c. C-19, article 572.0.4

[5] Loi sur les cités et villes, RLRQ, c. C-19, article 572.0.5

[6] Loi sur les cités et villes, RLRQ, c. C-19, article 572.0.6

[7] Loi sur les cités et villes, RLRQ, c. C-19, article 335

[8] Loi sur les cités et villes, RLRQ, c. C-19, article 350

[9] Loi sur les cités et villes, RLRQ c. c-19, article 338

[10] Assemblée nationale, Commission de l’aménagement du territoire, Journal des débats, Projet de loi 37, 42e lég., 2e sess., vol. 46, no 14, 7 juin 2022, 10h10 (N. Paradis), p. 8 et 9.

[11] Voir l’article 8 du Règlement numéro l-12947 : « 8. L’offre d’achat ne doit pas être assortie de conditions suspensives, telles l’obtention d’un financement ou le droit d’effectuer une inspection, qui n’ont pas été réalisées. Dans un tel cas, la notification de l’avis d’intention d’aliéner l’immeuble doit être faite au moment où toutes les conditions suspensives sont levées. »