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Interroger un membre du conseil municipal dans le cadre d’un litige, est-ce possible?

21 septembre 2023

Le conseil municipal (ci-après le Conseil) est l’assemblée délibérante composée d’élus chargés de prendre des décisions concernant les orientations et les priorités de la municipalité. Ces élus les adoptent sous forme de résolution ou de règlement, lors des séances du Conseil. Bien évidemment, ces décisions ne font pas toujours l’unanimité et peuvent devenir centrales dans un litige. Ainsi, qu’en est-il lorsqu’une tierce partie désire interroger les membres du Conseil dans le cadre d’un dossier judiciaire, sur une décision prise par ce dernier? En principe, les membres du Conseil ne peuvent être contraints à témoigner sur une décision, mais certaines précisions s’imposent.

Tout d’abord, les conseillers municipaux ne font pas partie de l’énumération de personnes pouvant être interrogées, lors d’un interrogatoire préalable à l’instruction, conformément au Code de procédure civile (C.p.c). À cet effet, l’article 221 C.p.c. stipule que le représentant, l’agent ou l’employé d’une partie peuvent être interrogés. Or, la Loi sur les cités et villes prévoit expressément que les membres du conseil municipal ne sont ni des fonctionnaires ni des employés de la municipalité.1 C’est plutôt le conseil municipal en soi, à titre d’assemblée, qui a le rôle de représenter la municipalité.2

Dès lors, considérant que la municipalité ne peut s’exprimer que par décision du Conseil, l’élu ne peut, de façon individuelle, s’engager pour la municipalité ni la représenter3 et il est donc exclu de la liste des personnes pouvant être interrogées. Par conséquent, en l’absence de consentement, le requérant doit se prévaloir de l’autorisation du Tribunal afin de pouvoir interroger les membres du conseil, préalablement à l’instruction4.

Toutefois, cette autorisation ne sera pas accordée facilement. En effet, la jurisprudence est claire à ce sujet : les motifs et les délibérations du Conseil sont insondables. D’ailleurs, la Cour suprême du Canada a statué que les motifs d’un corps législatif composé de nombreuses personnes sont « inconnaissables ».5 Sous la plume de l’honorable juge Dickson, elle rappelle également ce qui suit :

« Les gouvernements ne publient pas les motifs de leurs décisions ; ils peuvent être mus par une foule de considérations d’ordre politique, économique ou social, ou par leur propre intérêt. »6

Dans la même lignée, la Cour supérieure réitère :

« À moins d’avoir établi au préalable, un fondement pour des allégations de mauvaise foi, corruption, oppression ou abus de pouvoir équivalent à fraude, les motifs des décisions d’un conseil municipal ne sont pas susceptibles d’une enquête judiciaire. »7

Dans cette affaire, la Cour avait permis aux procureurs de la requérante d’interroger, préalablement à l’instruction, les six membres du conseil ayant voté en faveur de la résolution attaquée afin de vérifier si leurs décisions ont pu être l’objet d’une « influence indue ou d’autres moyens illégaux ». Cependant, considérant les énoncés de droit mentionnés ci-dessus, la Cour a refusé l’interrogatoire des membres du Conseil relativement aux motifs à la source de la décision du conseil.8

Ainsi, lorsque la mauvaise foi d’un élu est invoquée par une partie, les tribunaux vont parfois permettre que soient interrogés, au préalable, les membres du Conseil9. Par contre, le principe de base demeure le même : ce n’est qu’en présence de circonstances exceptionnelles qu’une partie peut être autorisée à interroger un membre du Conseil pour lui demander de justifier une résolution, par exemple.10 Dès lors, on peut raisonnablement s’attendre à ce qu’une municipalité s’oppose à un interrogatoire contraignant des élus à témoigner sur les motifs au soutien d’une décision prise par le Conseil.

En collaboration avec Anabelle Lavigne, étudiante en droit au sein du cabinet Dunton Rainville


1 Loi sur les cités et villes, RLRQ, c C-19, art. 6.
2 Id., art 47.
3 Girard c. Saguenay (Ville de), 2003 CanLII 24025, par. 9 (QC CS).
4 Code de procédure civile, RLRQ, c C-25.01, art. 221 al. 3.
5 Consortium Developments (Clearwater) Ltd c. Ville de Sarnia, [1998] 3 RCS 3, par. 45.
6 Thorne’s Hardware Ltd c. La Reine, [1983] 1 RCS 106, p. 112-113.
7 169669 Canada inc. c. Ville de Gatineau, 1999 CanLII 11202, par. 49.
8 Id., par. 50-51.
9 9145-2748 Québec inc. c. Ville de Montréal, 2022 QCCS 1411, par. 15.
10 Id., par. 14.