Skip to main content

Droit municipal, public, scolaire et de la santé

Taxation

La notion de "contrepartie " en vertu de la Loi concernant les droits sur les mutations immobilières

21 septembre 2023

La Loi concernant les droits sur les mutations immobilières (ci-après la » Loi «) a une influence importante sur les affaires quotidiennes d’une municipalité. C’est pourquoi nous jugeons intéressant de rappeler les faits pertinents d’une décision rendue par la Cour d’appel du Québec dans l’affaire Carrière St-Eustache ltée c. Boisbriand (Ville de) et d’en faire l’analyse. En effet, en décembre 2014, la Cour a eu l’occasion de définir pour la première fois le sens à donner à la contrepartie pour le transfert du droit de propriété aux fins de la Loi. L’entreprise Carrière St-Eustache Ltée (ci-après la » Carrière «) était locataire de trois terrains situés sur le territoire de la Ville de Boisbriand (ci-après la » Ville «), en vertu d’un bail signé (ci-après le » Bail «) avec le propriétaire des terrains. Le Bail contenait un loyer de base mensuel de 18 000 $, pouvant être renouvelé, et une clause de préférence et de priorité d’achat en faveur de Carrière. Dans cette dernière, le prix de vente de l’immeuble était fixé à 2 944 000 $, duquel on prévoyait la déduction du loyer de base payé par Carrière au moment de l’exercice de l’option d’achat. Le 11 octobre 2007, le terrain est vendu à Carrière, le prix de vente étant fixé à 1 000 000 $. En effet, puisque entre 1998 et 2007, Carrière avait payé 1 944 000 $ en loyer de base, ce montant devait être soustrait du prix de vente établi dans le Bail. Or, l’acte de vente prévoyait que c’était la valeur marchande de l’immeuble, de 1 642 240,00 $, qui constituait la base de l’imposition des droits de mutation imposés par la Ville. Toutefois, en mars 2008, la Ville apprend l’existence du Bail et prend connaissance de la clause qui prévoit le mécanisme de vente prévoyant la déduction du loyer de base payé par Carrière au moment de l’exercice de l’option d’achat. La Ville prétend donc que la véritable contrepartie est le prix de 2 944 000 $ qui figure dans le Bail, et non pas 1 642 240 $ tel qu’indiqué à l’acte de vente. Cette prétention, confirmée par la Cour du Québec, oblige donc Carrière à payer un montant supplémentaire de 19 526,40 $ en droits de mutation. C’est cette décision qui est analysée par la Cour d’appel du Québec. La Loi, à son premier article, donne le sens suivant à » contrepartie » :

  1. La valeur de tout bien fourni par le cessionnaire à l’occasion d’un transfert;
  2. Le numéraire ;
  3. Les priorités, de même que les hypothèques et autres charges grevant un bien au moment du transfert;
  4. Le montant de la partie de la dette, en capital, intérêts et frais, qui est éteinte lorsqu’un créancier acquiert le droit de propriété d’un bien en conséquence d’une sûreté réelle grevant le bien en sa faveur, sauf quant aux taxes municipales.

Il est pertinent de noter que la Loi ne s’intéresse pas au concept de » prix de vente «, mais bien seulement à celui de » contrepartie «. Comme l’explique l’Honorable juge Vauclair : « Si le législateur avait voulu limiter le droit de taxation au seul prix de vente, il l’aurait dit clairement. […] Les moyens de transférer un droit de propriété étant variés, la définition de ce qu’est une contrepartie doit également être flexible et large. » Dans son récent arrêt, la Cour d’appel du Québec confirme donc l’interprétation du juge de première instance. L’opération effectuée par Carrière était de donner une double finalité aux montants versés à titre de loyer, lesquels devenaient des acomptes une fois l’option d’achat levée. En optant pour l’achat des terrains aux conditions stipulées au Bail, les parties s’engageaient dans un nouveau contrat et transformaient le loyer de base en acompte versé sur le prix de vente nécessaire au transfert du droit de propriété. Nous croyons que l’arrêt rendu par la Cour d’appel du Québec reflète bien l’intention du législateur et permet aux municipalités d’interpréter largement le concept de » contrepartie » prévu dans la Loi. Les municipalités ne doivent donc pas se fier à l’interprétation littérale des termes du contrat prévoyant le transfert du droit de propriété, mais bien en faire l’analyse afin de trouver la réelle contrepartie.