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Québec municipal

La notion de « cours d’eau » prévue à l’article 103 de la Loi sur les compétences municipales

Par : Brunette, Jean-François

21 septembre 2023

Le 6 mars 2019, l’Honorable Steve J. Reimnitz de la Cour supérieure rendait jugement dans un dossier où la question centrale était de déterminer si le lit d’écoulement qui traversait les terrains des demandeurs était un « cours d’eau » au sens de l’article 103 de la Loi sur les compétences municipales ou plutôt un fossé de drainage n’étant pas assujetti à la compétence de la MRC 1.

Cette qualification juridique était importante puisque la MRC de Rouville avait adopté un règlement décrétant des travaux d’aménagement « dans la branche 56 de la Rivière Barbue » et les demandeurs voulaient le faire déclarer nul, puisqu’adopté sans compétence selon eux.

En effet, bien qu’une MRC ait juridiction « à l’égard des cours d’eau à débit régulier ou intermittent, y compris ceux qui ont été créés ou modifiés par une intervention humaine » suivant l’article 103 LCM, le paragraphe 4 du premier alinéa de ce même article prévoit une exception pour un « fossé de drainage » comportant certaines caractéristiques.

Après audition des multiples témoins et analyse des critères applicables, le juge en vient à la conclusion que le lit d’écoulement en cause est un « fossé privé ». Pour ce faire, il prend notamment en compte les éléments suivants :

  1. La notion de « cours d’eau » n’est pas définie dans le contexte de la Loi sur les compétences municipales et il faut donc s’en remettre au sens usuel des mots.
  1. Le lit d’écoulement n’existe qu’en raison d’une intervention humaine (art. 103(4) b) LCM).
    • Les photos déposées en preuve démontrent que le fossé présente un tracé rectiligne sur une grande partie de son parcours et que celui-ci comporte quatre changements de direction à angles droits, ce qui permet de conclure qu’il aurait été construit par l’intervention humaine. De plus, les différents segments débutent et se terminent sans aucun lien avec le début et la fin d’une source d’eau, comme l’aurait fait un cours d’eau naturel;
    • Aucune présence d’eau n’est visible sur les photos déposées;
    • Le débit d’eau en provenance du bassin versant est insuffisant pour créer par érosion un lit d’écoulement naturel, ce qui renforce également la conclusion que le lit d’écoulement a été creusé par l’intervention humaine;
    • Une carte préparée en 1973 par le ministère de l’Agriculture portait sur la Rivière Barbue et ne montrait aucune branche passant à travers les lots des demandeurs;
  1. La superficie du bassin versant est de moins de 100 hectares (art. 103(4) c) LCM).
    • L’expertise préparée pour les demandeurs conclut que le bassin versant a une superficie de 76,9 hectares, ce qui se rapproche de la conclusion à laquelle arrivait un rapport préparé en 2015 pour la MRC (environ 70 hectares), qui concordait elle-même avec l’évaluation initiale de la MRC d’environ 66,5 hectares;
    • Cela contraste avec le rapport préparé par le témoin expert de la MRC dans le cadre du litige, qui conclut plutôt à une superficie du bassin versant de 100 hectares, après l’avoir initialement fixée à 115 hectares. Ce changement de position, combiné à son incapacité de justifier les raisons pour lesquelles il a décidé en cours de route d’incorporer une partie de la route 112 dans son calcul de la superficie, a amené le Tribunal à accorder peu de crédibilité à cette expertise;
    • La Cour retient donc un bassin d’une dimension inférieure à 100 hectares;
  1. Le lit d’écoulement n’est utilisé qu’à des fins de drainage (art. 103(4) a) LCM).
    • Le fossé sous étude est pratiquement sec en permanence et les divers témoignages recueillis confirment qu’il n’a aucune autre fonction que de drainer les terres agricoles qu’il traverse;
    • Le juge Reimnitz cite à ce sujet les propos suivants du juge Bellavance tirés de la décision Haute Yamaska (MRC de la) c. Camping Granby inc.2, confirmée en appel :« [31] Il ne faut pas, selon le Tribunal, banaliser la notion de fossé de drainage sinon tout ce qui est filet d’eau sur nos terres agricoles québécoises sera qualifié de cours d’eau.
      [32] Certains fossés de drainage peuvent être stagnants, mais la plupart des fossés de drainage vont à un moment donné s’écouler, par gravité, dans un cours d’eau. Ce faisant, en donnant une qualification rétroactive de cours d’eau à ce qui était au début un fossé de drainage, on dénature celui-ci. (…) »

Le Tribunal étant d’avis que le lit d’écoulement sous étude ne peut être qualifié de « cours d’eau » assujetti à la compétence de la MRC suivant l’article 103 LCM, il déclare le règlement adopté par la MRC nul de nullité absolue.

 

1 Voghell c. Municipalité régionale de comté (MRC) de Rouville, 2019 QCCS 773 (CanLII).

2 2013 QCCS 3023.