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Droit municipal, public, scolaire et de la santé

Le devoir de diligence des municipalités en matière d’entretien des infrastructures

4 novembre 2025

Merleau-Bourassa, Julien

Article par :
Julien Merleau-Bourassa

Dans une décision récente[1],  la Cour du Québec rappelle aux municipalités qu’en matière d’entretien d’infrastructures publiques, l’inaction ou les délais de réparation peuvent engager leur responsabilité civile, même lorsqu’un événement climatique extrême est en cause.

Un ponceau négligé, des dommages évitables

Un citoyen, propriétaire d’un chalet, poursuivait la municipalité après que sa propriété eut été lourdement endommagée lors du passage de l’ouragan Debby, en août 2024. Selon lui, la cause réelle des dommages ne provenait pas du phénomène météorologique en soi, mais du manque d’entretien d’un ponceau municipal en piteux état depuis plus d’un mois.

En effet, dès le mois de juin 2024, à la suite d’une première pluie diluvienne, le citoyen avait signalé à la municipalité que le ponceau situé près de sa propriété était obstrué et inopérant. Malgré l’intervention d’urgence d’un employé afin de tenter de régler le problème, les travaux de remplacement promis par la municipalité n’ont pas été effectués avant le 9 août, jour où les fortes pluies de Debby ont provoqué un débordement massif.

S’en sont suivi des dommages matériels divers totalisant plus de 15 000 $.

La défense climatique ne tient pas

La municipalité plaidait la force majeure, invoquant des précipitations record (plus de 200 millimètres en une journée) et le caractère exceptionnel de la tempête. Elle soutenait aussi avoir été débordée par l’ampleur des réparations à effectuer sur l’ensemble de son territoire, touché par de nombreux bris de ponceaux.

Le Tribunal ne retient pas cet argument. Le caractère extrême d’un événement climatique ne dispense pas la municipalité de sa responsabilité lorsqu’un problème d’entretien connu et diagnostiqué n’a pas été corrigé à temps. Le Tribunal conclut que le ponceau constituait une « ruine » au sens de l’article 1467 du Code civil du Québec et que la municipalité n’a pas agi avec la diligence requise pour éviter des dommages prévisibles.

Le Tribunal insiste également sur la limite de la défense fondée sur la force majeure : dans un contexte climatique où les précipitations extrêmes deviennent plus fréquentes, les pluies diluviennes ne peuvent plus être considérées comme totalement imprévisibles.

Le Tribunal va plus loin en rejetant également l’argument de la municipalité quant à la disponibilité de ses équipes pour s’acquitter de la tâche :

« Dès lors qu’un ponceau est diagnostiqué comme devant être changé, il devenait urgent de prioriser le remplacement pour éviter tout autre dommage. […] La défense de la municipalité selon laquelle elle n’avait pas les effectifs pour corriger la situation avant ne tient pas la route. »

Une leçon pour toutes les municipalités

Cette décision envoie un message clair : le devoir d’entretien des infrastructures municipales est une obligation de moyens exigeante, fondée sur la prudence et la diligence. Lorsqu’une municipalité est avisée d’un risque connu, comme un ponceau en piteux état, elle doit démontrer qu’elle a pris toutes les mesures raisonnables pour corriger la situation dans un délai approprié. Cela inclut, au besoin, de réorienter certaines ressources, humaines ou matérielles, afin de corriger le problème, sans grand égard aux autres défis auxquels la municipalité fait face en même temps.

Implications pratiques pour les directions municipales

Pour les équipes municipales en charge des infrastructures publiques, cette décision constitue un rappel concret des bonnes pratiques à renforcer.

Tout d’abord, il est impératif d’assurer un suivi rigoureux des signalements : tout avis de bris, d’obstruction ou d’usure d’une infrastructure publique devrait faire l’objet d’un suivi documenté, afin de permettre à la municipalité de démontrer sa diligence.

Au surplus, lorsque plusieurs infrastructures sont endommagées, les municipalités doivent être en mesure de démontrer la logique derrière l’ordre d’intervention. Les ressources limitées des municipalités ne constituant pas un argument suffisant pour justifier l’inaction.

Retenons de cette décision que la clé pour limiter les risques de poursuites en lien avec le difficile maintien en bon état des infrastructures municipales réside dans la diligence de l’intervention et dans la bonne documentation de celle-ci ainsi que des décisions qui y ont mené.

[1] Fournelle c. Municipalité de Nominingue (2025 QCCQ 4920)