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Québec municipal

L’entente de dernière chance : quelques considérations pratiques

21 septembre 2023

Aux prises avec un salarié au comportement déviant et répété, les employeurs sont souvent à bout de souffle et à court d’idées afin d’amener ce salarié à se corriger. Dans un tel contexte, l’entente de dernière chance peut s’avérer un outil pratique pour l’employeur afin de donner une chance ultime à l’employé récalcitrant de conserver son lien d’emploi. Par ailleurs, elle permet à l’employeur de consigner par écrit ses attentes face au salarié ainsi que les conditions précises qui devront être respectées par celui-ci, à défaut de quoi il pourra se voir congédier.

La validité de ces ententes est généralement confirmée par les arbitres de griefs. Ainsi, dans l’affaire Syndicat des Cols Bleus regroupés de Montréal – Local 301 c. Montréal (Ville de)<1>, une salariée avait été congédiée pour vol de temps. En vue de régler les griefs de suspension sans solde et de congédiement déposés par le syndicat, l’employeur convient de réintégrer la salariée, moyennant une suspension sans solde de dix (10) mois et conclut, avec elle et le syndicat, d’une entente de dernière chance. Cette entente stipulait que la salariée devrait se présenter à l’heure à ses quarts de travail et exécuter convenablement la prestation de travail et les tâches qui lui seraient dévolues, à défaut de quoi elle serait congédiée. Dès le surlendemain de son retour au travail, elle prolonge une pause de 15 minutes en une pause de 45 minutes. L’employeur la congédie en raison de son manquement aux termes de l’entente. L’arbitre saisi du grief contestant ce dernier congédiement confirma l’entente de dernière chance intervenue entre les parties et a maintenu le congédiement imposé à la salariée.

Il convient de souligner que les arbitres ne s’estimeront généralement pas liés par les clauses de congédiement automatique prévues dans les ententes de dernière chance, à moins que celles-ci ne prévoient également une clause par laquelle le salarié renonce expressément à la procédure de grief afin de contester la mesure imposée. En l’absence d’une telle clause limitant le pouvoir de l’arbitre, celui-ci pourra substituer une sanction moindre au congédiement en tenant compte des circonstances de l’affaire. Cela nous est d’ailleurs rappelé dans une décision récente de la Cour d’appel<2>, laquelle rétablit la sentence arbitrale ayant substitué une suspension sans solde de six mois au congédiement du salarié qui n’avait pas respecté les termes de l’entente de dernière chance. Dans cette affaire, le salarié s’était présenté au travail en état d’ébriété et avait heurté une colonne alors qu’il conduisait un chariot-élévateur. Aux termes de l’entente conclue avec l’employeur, le salarié devait suivre une thérapie en cure fermée, qu’il abandonne puisqu’il décide de suivre une cure externe. L’arbitre avait considéré que le congédiement automatique était une sanction trop sévère au non-respect de l’entente, d’autant plus que le salarié avait entrepris des démarches pour suivre une cure externe et cette décision a été considérée comme étant raisonnable par la Cour d’appel.

Certaines distinctions s’imposent lorsque l’entente de dernière chance est convenue avec le salarié dans un cadre d’accommodement au sens de la Charte des droits et libertés de la personne. À titre d’exemple, un employeur faisant face à un salarié alcoolique ou toxicomane incapable, en raison de son « handicap », de fournir une prestation de travail régulière, pourra convenir d’une entente avec celui-ci en vertu de laquelle il s’engage à respecter certaines conditions, telles que de cesser de consommer, suivre une cure de désintoxication et subir des tests de dépistage.

Néanmoins, le non-respect des termes d’une telle entente ne pourra entraîner le congédiement du salarié impliqué que si l’employeur arrive à démontrer qu’il a satisfait à son obligation d’accommodement et que toute mesure d’accommodement additionnelle lui aurait occasionné une contrainte excessive. Cette distinction est due au caractère d’ordre public de la Charte des droits et libertés de la personne à laquelle il est impossible de déroger, même conventionnellement.

Finalement, voici quelques conseils pratiques de rédaction et d’application :

• Prenez soin de bien indiquer tous les faits ayant précédés la signature de l’entente de dernière chance, les antécédents disciplinaires du salarié ainsi que l’ensemble des mesures d’accommodement antérieures qui lui ont été accordées et ce, afin de mettre en évidence le caractère raisonnable de l’entente et de la sanction prévue. La trame historique apparaissant dans l’entente est primordiale;
• Portez attention aux conditions imposées dans l’entente de dernière chance ainsi qu’à leur contexte d’application;
• Adaptez chaque entente au cas particulier qui vous est soumis et évitez l’utilisation de modèles généraux;
• Insérez une clause indiquant spécifiquement que le salarié et le syndicat renoncent à contester le contenu de l’entente;
• Prévoyez une clause limitant le pouvoir de l’arbitre;
• En cas d’infraction à l’entente, évaluez attentivement le comportement du salarié afin de vous assurer d’être véritablement en présence d’un bris de l’une ou l’autre des conditions de l’entente;
• En cas d’une dérogation du salarié à l’une des conditions de l’entente de dernière chance, évaluez quelle doit être la sanction appropriée dans le contexte propre aux faits qui se sont présentés.

<1> 2015 CanLII 30620
<2> Unifor, section locale 174 c. Cascades Groupe Papiers fins inc., division Rolland, 2015 QCCA 1904

Cet article a été publié sur le site Québec Municipal le 21 décembre 2015.