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Québec municipal

Quelles peuvent être les conséquences d’une erreur commise à l’ouverture des offres relatives à un contrat municipal ?

Par : Mahoney, Bernard

21 septembre 2023

Une décision récente de Madame la juge Manon Savard de la Cour d’appel (Ville de Montréal c. Groupe VPR inc, 2014 QCCA 2306) soulève d’intéressantes questions à l’égard des conséquences pouvant découler d’une erreur commise par une municipalité à l’ouverture d’un appel d’offres public.

Les faits de cette affaire sont succinctement les suivants : en réponse à un appel d’offres public, des soumissions sont déposées auprès d’un arrondissement de la Ville de Montréal pendant que la secrétaire de cet arrondissement est en vacances. À ce qu’il semble, les instructions verbales données par celle-ci avant son départ pour vacances ne sont pas suivies fidèlement durant son absence, car deux soumissions parmi les quatre reçues ne sont pas acheminées à l’endroit approprié. Pour cette raison, elles sont carrément ignorées à l’ouverture publique des offres et le contrat est adjugé à Groupe VPR, le soumissionnaire dont l’offre est la plus basse des deux seules alors connues. Ce qui devait arriver arriva : les soumissions égarées sont retrouvées peu après. Au retour de ses vacances, la secrétaire de l’arrondissement, informée de la situation, procède à une deuxième ouverture des offres. Il s’avère alors que l’une des offres retrouvée est plus basse que celle de Groupe VPR. Le conseil d’arrondissement annule donc le contrat adjugé à cette dernière, deux semaines plus tôt, et l’attribue au soumissionnaire concurrent dont l’offre s’est révélée moins chère. Groupe VPR intente alors un recours en dommages contre la Ville de Montréal.

En première instance, Monsieur le juge Jeffrey Edwards de la Cour du Québec semonce généreusement la Ville pour ne pas avoir mis en place un système adéquat pour gérer et sauvegarder l’intégrité des soumissions reçues. Il rappelle l’importance d’assurer la transparence et l’intégrité du processus d’appel d’offres public et de maintenir l’équité dans le traitement des soumissionnaires. La gestion négligente de cet appel d’offres s’assimile, selon lui, à une faute lourde [par. 39]. Il estime que la Ville n’aurait pas dû prendre en considération l’offre égarée du concurrent, car celle-ci était devenue irrégulière et irrecevable en raison de la manière dont la Ville s’était comportée [par. 42]. Il concède toutefois que la Ville aurait pu prendre en considération les offres oubliées si le contrat d’entreprise n’avait pas déjà été adjugé [par. 26]. Selon la preuve, en effet, ces offres avaient été reçues dans le délai imparti. Le tribunal conclut qu’il y a eu violation d’une règle majeure du processus d’appel d’offres, ce qui constitue une inexécution du contrat A donnant droit au soumissionnaire lésé à une compensation pour «la perte subie et le gain dont il a été privé en raison de la perte du contrat qui a été illégalement abrogé» [par. 43]. Il s’agit manifestement, dans ce dernier cas, de la perte du contrat B, même si le tribunal ne le précise pas nommément.

La Cour d’appel est saisie, par la Ville, d’une requête pour permission d’en appeler de ce jugement dont le montant du litige en appel est inférieur au seuil prescrit pour les appels de plein droit. Madame le juge Manon Savard rejette la requête de la Ville au motif que cette dernière ne s’est pas «déchargée de son fardeau d’établir que la question en jeu mérite d’être soumise à la Cour d’appel» [par. 6] et que le faible montant en cause «ne milite pas, (non plus), en faveur de l’octroi de la permission recherchée» [par. 10].

Cependant, elle ne manque pas de relever que la Ville «a vraisemblablement raison de plaider qu’après avoir constaté son omission, elle devait procéder à une deuxième séance d’ouverture des soumissions et que (Groupe VPR) ne pouvait prétendre avoir droit au contrat». Conséquemment, écrit-elle, «le juge de première instance ne pouvait le dédommager pour la perte des profits escomptés» [par.8].

À première vue, certains pourraient être tentés de mettre cette observation de la juge Savard en opposition aux remarques suivantes des juges majoritaires dans l’arrêt vivement discuté, rendu par la Cour Suprême, dans l’affaire Double N Earthmovers Ltd. c. Ville d’Edmonton, 2007 CSC 3 :

«Cet argument repose sur la thèse que la formation du contrat B entre le soumissionnaire retenu et le propriétaire ne libère pas ce dernier de ses obligations envers les soumissionnaires non retenus au titre du contrat A, en particulier de son obligation implicite de traiter tous les soumissionnaires équitablement. Nous ne souscrivons pas à cette thèse» [par. 69].

Toutefois, les faits de l’affaire Double N Earthmovers diffèrent passablement de ceux de l’affaire Groupe VPR. Double N plaidait en effet que la Ville d’Edmonton avait toléré que son concurrent déroge à certaines exigences du devis, favorisant ainsi celui-ci dans le traitement du contrat A, afin de lui adjuger par préférence le contrat B (le contrat d’entreprise). Et surtout, il ne s’agissait pas d’une disposition d’ordre public comme celle imposant à la municipalité d’adjuger le contrat B au soumissionnaire ayant déposé l’offre conforme la plus basse. Dans l’affaire Groupe VPR, au contraire, toutes les parties en cause semblaient de bonne foi et aucune ne cherchait délibérément à fausser le processus d’appel d’offres et la ville voulait adjuger le contrat au plus bas soumissionnaire conforme dont l’offre avait été erronément oubliée.

Du point de vue de la Ville, on pouvait donc soutenir que le contrat B adjugé à Groupe VPR résultait d’une simple mise en œuvre défaillante des règles d’adjudication contractuelle et que, partant, il n’était pas générateur de droits. L’entrepreneur, pour sa part, aurait pu chercher à mettre en doute que ce contrat B, dûment autorisé par résolution, pouvait être révoqué unilatéralement par la Ville au motif d’une erreur administrative considérée comme une faute lourde par le juge de première instance. Peut-être même aurait-il pu tenter de qualifier cette erreur d’inexcusable au sens de l’article 1400 du Code civil du Québec.

Heureusement, la Cour d’appel a pris soin de préciser dans sa décision, même si elle n’a pas accepté de se saisir, que la municipalité avait vraisemblablement eu raison de procéder à une seconde ouverture des offres et d’attribuer le contrat au véritable plus bas soumissionnaire et que, conséquemment, Groupe VPR ne pouvait prétendre à des dommages puisque le contrat ne devait pas lui être octroyé.

Si vous désirez éviter de faire inutilement les frais de litiges, révisez rigoureusement les modalités encadrant le processus d’appel d’offres en vigueur dans votre municipalité et assurez-vous également qu’elles soient appliquées minutieusement en tout temps et particulièrement durant votre absence.

Pour tous vos services juridiques en matière de droit municipal, vous pouvez compter sur l’équipe de professionnels de Dunton Rainville.

Cet article a été publié sur le site Québec Municipal le 7 janvier 2016.