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Québec municipal

Un contrat octroyé illégalement par une municipalité ne l’empêche pas de devoir payer pour les services reçus

Par : Fournier, Alexandre

21 septembre 2023

L’article 1699 du Code civil du Québec (le « C.c.Q. ») oblige une personne à rendre à une autre ce qu’elle a reçu sans droit, par erreur ou en vertu d’un acte juridique anéanti de façon rétroactive, notamment. Règle générale, la prestation reçue devra être restituée en nature (par exemple, par la remise du bien), mais si le bien a été consommé ou si le service a été rendu, la restitution pourra alors se faire par équivalent (principalement par la remise d’une somme d’argent correspondant à la valeur de ce qui a été reçu).

Récemment, la Cour d’appel a dû déterminer si l’article 1699 C.c.Q., qui s’applique à des contrats entre particuliers, pouvait également trouver application dans les cas particuliers où les règles de la Loi sur les cités et villes (la « L.c.v. ») portant sur l’approbation des contrats municipaux n’ont pas été suivies, rendant ainsi nuls ces contrats[1]. Plus particulièrement, la question était de savoir si la Ville de Montréal (la « Ville ») était tenue de payer pour des services qu’elle a demandés et reçus en vertu d’un contrat subséquemment déclaré nul, car n’ayant jamais été approuvé conformément aux règles de la L.c.v.

Suite aux élections municipales de 2005, les préposés de la Ville se sont affairés à la préparation d’un plan de transport et de son lancement, lequel était prévu pour le 17 mai 2007, jour du 365e anniversaire de la Ville. Les services rendus jusqu’alors par la Direction des communications de Montréal ne plaisaient pas à certains membres du comité exécutif de la Ville, si bien que, à la fin du mois d’avril 2007, des représentants d’Octane Stratégie inc. (« Octane ») ont été convoqués à une réunion à l’Hôtel de Ville. Participaient également à cette réunion les principaux intervenants politiques et administratifs de la Ville intéressés au lancement.

Lors de cette réunion, les représentants de la Ville ont mentionné leurs attentes élevées pour l’événement et ont mandaté Octane séance tenante pour préparer le concept et l’organisation du lancement. Octane est une firme de relations publiques qui avait alors déjà des relations de nature contractuelle avec la Ville. Malgré tout, la Cour retient que les services en l’espèce n’ont pas été approuvés conformément aux règles de la L.c.v.

Le lancement a bel et bien eu lieu, avec succès, le 17 mai 2007. Par la suite, Octane a fait parvenir trois (3) factures à la Ville, lesquelles seront acquittées.

Plus de deux (2) ans plus tard, et suite à de nombreuses discussions avec des intervenants de la Ville afin de trouver une solution à l’amiable, Octane a transmis une quatrième facture. Étant donné le risque de voir prescrire sa réclamation envers la Ville, Octane a déposé une demande en justice peu de temps après.

La Ville s’opposait à toute restitution des prestations reçues le 17 mai 2007 et faisant l’objet de la quatrième facture pour le motif qu’il y avait tout simplement absence de contrat avec Octane vu le non respect des règles d’approbation de la L.c.v. La Cour ne retient pas l’interprétation de la Ville et se dit plutôt d’avis que « le non-respect des formalités et l’absence d’approbation ne signifient pas […] qu’aucun contrat n’est intervenu mais plutôt que le contrat intervenu est nul puisqu’il ne respecte pas les formalités prescrites par la loi »[2]. Ainsi, selon l’article 1422 C.c.Q., un contrat frappé de nullité est réputé n’avoir jamais existé et chaque partie est tenue de restituer à l’autre les prestations qu’elle a reçues.

Toujours selon la Cour d’appel, « [l]’objet même de la restitution des prestations sous l’article 1699 C.c.Q. vise […] précisément le cas où un acte juridique, tel un contrat, est anéanti pour défaut d’obtenir une approbation ou de respecter un processus impératif d’adjudication prévu par la loi »[3]. La Cour souligne que tant les auteurs que la jurisprudence sont unanimes à reconnaître l’application du C.c.Q. aux contrats conclus par les municipalités. Ainsi, de déclarer la Cour, « [s]i une municipalité peut invoquer la restitution des prestations de son cocontractant […], il va de soi que le cocontractant peut lui aussi l’invoquer contre la municipalité »[4].

Les juges Mainville et Schrager ajoutent en obiter (la juge Hogue préférant ne pas se prononcer sur ce point) que même s’ils avaient donné raison aux prétentions de la Ville et conclu qu’il n’y avait jamais eu de contrat, il y aurait quand même eu lieu d’accorder la restitution des prestations parce qu’il y aurait eu réception de l’indu par la Ville, celle-ci ayant bénéficié des services sans payer de contrepartie.

Considérant que les services ont bel et bien été rendus par Octane lors du lancement le 17 mai 2007, la Cour rejette l’appel de la Ville et maintient le jugement initial accueillant la réclamation.

L’année dernière[5], nous avions analysé l’arrêt Ville de Québec c. GM Développement inc.[6] où la Cour d’appel a conclu que la théorie du mandat apparent ne devait être importée en droit municipal qu’avec beaucoup de restrictions et qu’elle ne pouvait permettre de valider un contrat intervenu entre une municipalité et un tiers en l’absence de règlement ou de résolution.

Selon la Cour, il n’y a pas de contradiction entre sa conclusion dans Octane Stratégie et celle à laquelle elle est parvenue dans son arrêt GM Développement, et ce bien que dans les deux cas un mandat ait été octroyé par un ou des fonctionnaires directement[7]. Dans GM Développement, la Cour a confirmé l’analyse du juge de première instance selon laquelle il n’existait pas de contrat entre la Ville de Québec et GM Développement, faute d’une résolution ou d’un règlement adopté par le conseil. De plus, la Cour avait refusé d’accorder la restitution de prestations par la Ville de Québec parce que le promoteur n’avait pas démontré de réception de l’indu ou d’enrichissement injustifié par la ville.

Dans Octane Stratégie, la firme a été mandatée par le directeur des communications au cabinet du maire et du comité exécutif, avec l’accord d’intervenants politiques et administratifs de la Ville. Bien qu’il n’y a ici non plus eu ni résolution ni règlement adopté par le conseil, la Cour a conclu qu’un contrat était effectivement intervenu, et qu’il était frappé de nullité parce qu’il avait été octroyé illégalement. Toutefois, puisqu’il y a eu prestation de services dont a bénéficié la Ville, celle-ci était tenue à la restitution.

Ainsi, lorsqu’une municipalité bénéficie indûment de services rendus en vertu d’un contrat subséquemment déclaré nul, elle sera néanmoins tenue de restituer les prestations reçues, que ce soit en nature ou par équivalent. Ce raisonnement de la Cour d’appel s’inscrit dans un courant provenant de la Cour suprême du Canada et visant à favoriser l’équité et l’intérêt public au détriment d’un formalisme juridique. Comme le précise la Cour d’appel, le mécanisme de la restitution des prestations s’inscrit dans l’objet des lois encadrant l’adjudication de contrats municipaux. Une municipalité ne sera tenue de remettre que ce qu’elle a reçu et, si la prestation de services a eu lieu, elle ne sera tenue de remettre que la véritable valeur de ce qu’elle a reçu[8].

Il s’agit d’un rappel qu’une municipalité doit s’assurer d’agir en conformité avec les règles d’adjudication des contrats pour tous les services qu’elle reçoit, faute de quoi elle risque de s’exposer à devoir rembourser ceux-ci à un prix déterminé par les tribunaux.

[1] Ville de Montréal c. Octane Stratégie inc., 2018 QCCA 223 (CanLII) (« Octane Stratégie »).

[2] Id., par. 48.

[3] Id., par. 37.

[4] Id.

[5] « La théorie du mandat apparent s’applique-t-elle au domaine municipal? », <http://www.quebecmunicipal.qc.ca/index.asp?module=articles&action=details&id=88471>

[6] 2017 QCCA 385 (« GM Développement »).

[7] Octane Stratégie, précité, note1, par. 45.

[8] Id., par. 62.